Le droit de prêt numérique : une exception nouvelle ?
Le droit de prêt numérique : une exception nouvelle ?
La presse s’est fait l’écho d’une récente déclaration de la ministre de la Culture sur le droit de prêt numérique. Madame Nyssen adopte une position proche de celle de la SDGL et du SNE : il ne serait pas opportun de créer de nouvelle exception en faveur du prêt numérique.
En effet, selon la ministre de la Culture, la question du droit de prêt numérique est une exigence venue d’ailleurs, sous-tendue par une volonté d’obtenir un droit nouveau. « Il n’en est pas question », dit-elle. Le débat est ainsi clos. Mais la question qu’on refuse de traiter est-elle bien posée ?
On peut craindre que non. L’évolution technologique, et le droit qui s’applique au livre numérique, ont fait sortir du champ d’application du droit de prêt l’ensemble des livres numériques. Il s’agit pourtant toujours de livres, d’objets de lecture conçus pour préserver la relation entre le lecteur et l’œuvre qu’il lit. On ne voit pas intellectuellement ce qui est franchement nouveau.
L’évolution est technologique, elle n’est en rien intellectuelle. Dans un environnement où la pratique de la lecture stagne, voire régresse, la lecture numérique est une offre alternative de support qui à terme touchera tous les publics. Le livre numérique est un livre.
C’est ce qui ressort de l’arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne qui assimile le livre numérique au livre papier et demande l’application du droit de prêt déjà existant, et qui existe en droit français. La question du droit de prêt numérique doit être posée dans le cadre global du droit de prêt tel qu’il est prévu tant par la loi française depuis 2003 que par l’esprit des lois.
La loi encadre ce droit. Avant l’apparition du livre numérique, elle s’appliquait à l’ensemble des livres. La loi Tasca n’a de sens que si elle a pour champ d’application l’universalité des livres. Elle n’aurait aucun sens si elle s’appliquait à tel ou tel secteur du livre, rogné au gré des technologies. Si l’on n’y prend garde, à mesure que le livre numérique se substituera au livre traditionnel, le champ de la loi Tasca se trouvera réduit. Dans la défense du statu quo, c’est la loi elle-même qui se trouve lentement vidée de son contenu. Certains l’espèrent. On peut penser que ce ne peut être la position de la ministre de la Culture. Demander l’application du droit de prêt au livre numérique ne vise donc pas à étendre un droit à des domaines étrangers.
Bien entendu, tout le monde s’accorde sur le fait que le livre numérique demande des dispositions techniques particulières pour assurer une distribution qui respecte le droit de chacun (éditeurs, auteurs, usagers des librairies et des bibliothèques).
Appliquer le droit de prêt au livre numérique n’est donc pas une création de droits nouveaux sortis de nulle part et menaçant tel ou tel acteur du monde du livre, mais un geste qui préserve le statut du livre dans la société. Prétendre le contraire est une régression. Il est urgent de poser les vraies questions et de légiférer pour préserver la diversité des accès aux livres. Et d’être à l’écoute de l’ensemble des acteurs du livre.